Contexte
L’existence de troubles psychiques touchant les professionnels de santé est une réalité régulièrement rappelée par les médias lors de drames comme le suicide du Pr Meignen en décembre 2015. Les soignants ne sont pas épargnés par les pathologies psychiatriques telles que la dépression ou l’anxiété, qui touchent respectivement 10,1% et 26,1% de la population française.
En effet, ils sont soumis à des risques psychosociaux définis comme les contraintes professionnelles susceptibles de dégrader l’état de santé psychique d’un individu. Cette atteinte psychique peut entrainer une maladie mentale et/ou physique et avoir des conséquences professionnelles et sociales. L’exposition à ces situations de travail peut être responsable de l’apparition de troubles anxio-dépressifs, d’épuisement professionnel ou burn-out.
Le burn-out peut alors entrainer une diminution de la qualité des soins prodigués ainsi qu’une augmentation du risque d’erreurs médicales. Les problèmes de démographie médicale peuvent être amplifiés en provoquant des démissions plus fréquentes ou une avancée du départ en retraite. De plus, il favorise les conduites addictives ainsi que la dépression et augmente le risque de suicide.
Pour rappel, les professionnels les plus touchées par le suicide sont ceux du domaine de la « santé et de l’action sociale » (34,3 pour 100 000) contre 33,4 pour 100 000 dans la population générale française masculine du même âge. Plusieurs études réalisées notamment par l’Ordre des Médecins, suggèrent que près de 8 % des décès des médecins en activité seraient dus à un suicide, soit deux fois plus que pour la population générale.
Ces troubles touchent également les jeunes et futurs médecins, cependant, les études épidémiologiques concernant cette population sont peu nombreuses. En 2016, une enquête réalisée par le Conseil National de l’Ordre des Médecins, en collaboration avec l’ANEMF, l’ISNI, l’ISNAR-IMG et l’ISNCCA s’est intéressée à l’état de santé global des jeunes médecins : un quart d’entre eux a déclaré être en état de santé moyen ou mauvais. Le questionnaire, auquel plus de 8000 étudians et des jeunes médecins ont répondu, n’évaluait pas dans le détail les problématiques de santé mentale mais 14% déclaraient avoir eu des idées suicidaires (à titre de comparaison, entre 3,7 et 4% des femmes et 2,6 et 3,7% des hommes âgés de 20 à 34 ans ont des idées suicidaires dans la population générale).
Le repérage et la prise en charge des risques psychosociaux des internes et chefs de clinique et assistants ont fait l’objet d’un rapport de la DGOS mais nous constatons encore trop régulièrement des situations dramatiques : depuis novembre 2016, 5 internes se sont donnés la mort ! Ces situations témoignent du malaise profond qui règne aujourd’hui chez une partie de nos confrères.
Aussi, une revue systématique de la littérature scientifique est parue en 2016 dans le Journal de l’American Medical Association (JAMA). Elle retrouve 11,1% de risque suicidaire chez les étudiants en médecine et 27,2% de dépression, mais aucune étude ne s’est intéressée à la santé mentale des jeunes et futurs médecins français.
A l’initiative de l’ISNI, les structures représentatives des jeunes et futurs médecins (ANEMF, ISNAR-IMG, ISNCCA et ISNI) ont réalisé une grande et inédite enquête nationale auprès des externes, internes, chefs de clinique-assistants (CCA), assistants hospitalo-universitaires (AHU) et assistants spécialistes (AS), afin de :
- Etablir un état des lieux incontestable de la santé mentale des jeunes et futurs médecins
- Proposer des améliorations à la formation à la fois des encadrés et des encadrants
- Développer des structures de prévention et de promotion de la santé spécifiques des différentes populations étudiées
- Proposer ensuite des moyens de prises en charge adaptées et individualisées
- Apporter enfin la surveillance nécessaire pour assurer la guérison et empêcher les récidives.
Cette lutte contre les risques psychosociaux est ambitieuse mais nécessaire : le système de santé français a plus que jamais besoin de professionnels aptes à répondre aux défis de demain !
Méthodologie
Les étudiants et jeunes médecins ont été invités à répondre à un questionnaire en ligne du 31 janvier 2017 au 1er avril 2017 par plusieurs canaux de communication:
- Par le biais de leurs associations ou syndicats représentatifs locaux
- Par le biais de leurs associations de spécialités
- Par une communication sur les réseaux sociaux
Pour construire ce questionnaire, nous nous sommes inspirés des facteurs de risque et de protection connus ou fortement suspects, décrits dans la littérature scientifique ainsi que dans la littérature grise. Nous y avons rajouté des facteurs de risque ou de protection suspectés basés sur notre expérience clinique, syndicale et associative. Il a enfin été relu et amélioré par deux Professeurs des Universités et Praticiens Hospitaliers de psychiatrie.
La dépression et l’anxiété ont été recherchées et évaluées par le questionnaire HADS (Hospital Anxiety and Depression Scale), auto-questionnaire validé internationalement. La dépression et/ou l’anxiété sont retenues lorsque le sous-score correspondant est égal ou supérieur à 8. Les idées suicidaires, et plus généralement les autres troubles liés à la santé mentale sont mesurés de manière auto-déclarative.
Avant envoi du questionnaire, ce dernier a été testé pour validation auprès d’externes, internes et CCA volontaires. Malgré ces tests, certaines questions ont fait l’objet d’incompréhensions auprès des sondés : elles n’ont pas fait l’objet d’analyses.
Principaux résultats
Les prévalences des troubles mentaux
21 768 Répondants dont 4 255 étudiants en 1er cycle, 8 725 étudiants en 2e cycle, 7 631 étudiants en 3e cycle et 1157 CCA-AHU-AS 66.2%. D’anxiété 27.7% De dépression chez les étudiants en médecine et les jeunes médecins 23.7%. D’idées suicidaires dont 5,8% d’idées suicidaires dans le mois précédant l’enquête.
Les principaux facteurs de risques et de dépressions
Dépression
Anxiété
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Proposition pour prévenir les risques psychosociaux
Formation
… Des managers, pour un management bienveillant
Le rapport IGAS de décembre 2016 met l’accent sur l’importance du rôle du management dans les risques psycho-sociaux « Parler des RPS conduit inévitablement à parler de management et du rôle des managers ». Les résultats de cette enquête ne font que renforcer ce constat. Nous soutenons la formation au management dans la formation initiale et continue des médecins ; en particulier les jeunes praticiens séniors lors de leur prise de fonction.
… Des étudiants en médecine
Dans une étude publiée dans le JAMA12 en 2015 suite aux suicides d’étudiants en médecine new-yorkais, les auteurs recommandaient que chaque étudiant en médecine ait une sensibilisation sur la question des risques psycho-sociaux : prévalence dans la population médicale, reconnaissance des symptômes, conduite à tenir et notamment en cas d’erreur médicale. Elle inclurait également une formation à l’autogestion des situations de stress.
… Avec des temps d’échanges …
Notre étude montre que les temps d’échanges dans le service sont un facteur protecteur des risques psycho-sociaux. Il est essentiel de pouvoir mettre en place des temps d’échanges réguliers pour les jeunes médecins avec un professionnel·le qualifié dans la relation médecin-patient. De plus, dans l’étude du JAMA citée précédemment, les auteurs insistent sur la nécessité de mettre en place des temps d’échanges spécifiques au décours d’un événement comme la mort inattendue d’un patient.
… Et un accompagnement personnalisé
La mise en place d’un portfolio national, déjà discuté pour le 3ème cycle, pourrait être un outil personnalisé de l’accompagnement de l’étudiant en médecine. Valorisant pour l’étudiant, il permettrait à l’encadrant de programmer précisément l’acquisition attendue des compétences du jeune médecin, progressivement, et en accord avec les capacités.
Prévention
Respect de la législation
Le respect de la réglementation du temps de travail et le respect du repos de sécurité est indispensable dans la prévention des risques psycho-sociaux. En effet, la fatigue est un facteur de risque retrouvé aussi bien dans l’anxiété que dans la dépression. Dans cette optique, il est nécessaire de renforcer les contrôles et les sanctions en cas de non-respect du temps de travail.
Service de santé au travail
Selon notre enquête, seuls 45,3% des jeunes et futurs médecins ont déjà vu un médecin du travail. Pourtant, il est le principal acteur de la prévention des risques psycho-sociaux aussi bien en termes de prévention primaire que de dépistage et de prise en charge d’une pathologie déjà installée. Il est important de rendre la visite d’aptitude en service de santé au travail obligatoire et systématique pour tous les jeunes médecins à chaque changement de statut (externe, interne, assistant). De plus, un suivi spécifique densifié devra être instauré pour le cas des femmes médecins enceintes, notamment en vue d’adapter leur poste pendant leur grossesse.
Valorisation des activités extra-universitaires
La pratique d’activités extra-universitaires (culturelles, sportives, associatives ou syndicales) devra être valorisée dans le parcours de l’étudiant.
Prise en charge
Dépistage et suivi
Les référents pédagogiques envisagés dans l’arrêté du 12 avril 2017 portant sur l’organisation du troisième cycle des études médicales devront être formés à la détection et au dépistage de la souffrance au travail des étudiants. Ils s’assureront de l’évolution des troubles en proposant un suivi rapproché, en concertation avec les responsables hospitaliers et universitaires.
Accompagnement
L’état psychique de l’étudiant devra être pris en compte avec possibilité d’aménagement du terrain de stage. Les plannings de garde et d’astreinte pour les professionnels en difficulté seront adaptés en lien avec les recommandations des médecin de santé au travail.
Gestion de l’urgence
Plusieurs dispositifs d’écoute et d’assistance à destination des professionnels médicaux existent déjà, qu’ils soient spécifiques aux jeunes et futurs médecins ou non. Nous appelons à un recensement des structures labellisées afin d’en faire la promotion auprès des populations concernées pour les développer au niveau national. Ces structures pourront être dans les hôpitaux et/ou dans les universités avec un respect strict de la confidentialité et la participation de professionnels de la santé mentale (psychiatres, psychologues…).
Création de Bureaux d’Interface entre Étudiants et Professeurs (BIPE) au sein de nos UFR à l’image de ce qui se fait déjà à l’Université Paris VI. Ces structures devront remplir un rôle d’accompagnement moral et psychologique, d’accompagnement à l’orientation et un soutien pédagogique.
Surveillance
Observation
Le recueil de données sur la santé mentale doit être poursuivi et précisé, et notamment dans le domaine des suicides et du syndrome d’épuisement professionnel.
Veille
Un registre des suicides spécifique pour les étudiants et jeunes médecins devrait être créé, afin de pouvoir suivre leurs évolutions en temps réel.
Évaluation
Des indicateurs évaluant la souffrance au travail devraient être mesurés par les structures accueillant des étudiants et jeunes médecins. Ces indicateurs, les mesures prises pour prévenir et prendre en charge les risques psychosociaux ainsi que l’évaluation de ces mesures seront présentés en CME au moins une fois par an. Par ailleurs, toute évaluation de stage devra comporter un volet sur les risques psychosociaux afin que chacun puisse faire remonter des situations de violences ou difficultés.
Les dispositifs mis en place
Réseaux nationaux
MOTS (Médecin Organisation Travail Santé)
SPS (Soins aux professionnels de santé)
AAPML (Association d'aide aux professionnels de santé et médecins libéraux)
APSS (Association pour les soins aux soignants)
Réseaux locaux
Montpellier
EIAS (Accompagnement lors d’une Erreur, Incident, Accident liés auxSoins) – CHRU Montpellier
N° GSM: 07 88 01 40 48 (ou 1/4048 par téléphone -mail: eias@chu-montpellier.fr
Rhône-Alpes
Réseau ASRA : contact@reseau-asra.fr – 0805 62 01 33 – www.reseau-asra.fr
Paris 6
BIPE – http://www.fmpmc.upmc.fr/fr/la_faculte/les_commissions/bureau_interface_professeurs_etudiants_bipe.html
SOS Internes
– Bordeaux : SOS IBA 33 (Internes Bordelais et d’Aquitaine) – sos.iba33@gmail.com
– Caen : sos.internescaen@gmail.com.
– Grenoble : sos.intgre@gmail.com
– Marseille : SOS SAIHM (Syndicat Autonome des Internes des Hôpitaux de Marseille) sos.saihm@gmail.com
– Montpellier : SOS SILR (Syndicat des Internes du Languedoc Roussillon) – sossilr@gmail.com
– Nancy : SOS AMIN (Association des Médecins Internes de Nancy) – sos@lamin.fr
– Nice : SOS IHN (Internat des Hôpitaux de Nice) – sos.ihn06@gmail.com
– Paris : SOS SIHP (Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris) – sossihp@gmail.com
– Rouen : sos.med.rouen@gmail.com
– Rennes : sos.intrennes@gmail.com