Depuis son annonce devant la délégation aux droits des femmes, le 20 Juillet dernier disant « en France on a un taux d’épisiotomie à 75 % alors que l’OMS préconise d’être normalement autour de 20 à 25 % »0,1, Marlène Schiappa, secrétaire d’état chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, subit les foudres des gynécologues. Ces derniers brandissent un chiffre de l’INSERM de 27% et disent regretter que leur profession soit ainsi « maltraitée dans son ensemble »2 lorsque Mme Schiappa évoque l’existence de violences gynécologiques concernant notamment les femmes étrangères, et/ou très jeunes et/ou handicapées (où elle évoque notamment des pratiques « non consenties »).
Dans un nouveau communiqué, Mme Schiappa informe que le chiffre qu’elle a utilisé résultait d’une enquête de l’association Maman travaille de 2013 où 75% des 983 mères interrogées disaient avoir subi une épisiotomie. Elle ajoute que le gouvernement doit apporter une réponse aux femmes faisant part de leurs souffrances, quand bien même le ressenti des femmes et celui des gynécologues sur l’existence de violences gynécologiques pouvait différer d’un côté ou de l’autre. L’ordre des médecins répondra d’un nouveau communiqué3 pour inciter au dialogue sur « ce qu’est aujourd’hui la réalité de l’exercice des gynécologues et obstétriciens de France ».
Un problème de communication ?
Au-delà de l’exactitude du chiffre, en elle-même questionnant notre façon de percevoir la réalité (les deux ordres du réel, celui d’une vision globale par les statistiques et celui d’une expérience subjective particulière par le témoignage, sont-ils incompatibles ?), cette situation est intéressante car elle nous amène à nous interroger sur un élément essentiel de communication des soignants avec « le reste du monde ». Comment l’avis des médecins et soignants, étant donné l’expertise inhérente à la pratique de leur métier, doit-il être entendu et respecté dans les débats publics en matière de santé ?
Réciproquement, comment des témoignages de violences rapportées par des patients doivent-il être entendus et respectés des médecins et autres professionnels de santé, sans que ces derniers ne remettent en question ou minimisent l’existence de ces violences, tout en apportant des éléments de rectification d’informations inexactes (selon les données de la science en l’état) ou de contextualisation ?
Comment réagir à une remise en cause du monde médical ?
Critiques médicales : l’exemple de la gynécologie
La gynécologie, spécialité particulière en ce sens qu’elle a pour objet, notamment, une part de l’intimité des femmes, fait pourtant paradoxalement régulièrement l’objet de remise en cause en matière de violence médicale. On peut raisonnablement poser plusieurs questions sur certaines pratiques, à la lumière d’un esprit critique :
- Le Toucher Vaginal, souvent perçu comme l’examen indispensable en gynécologie, est souvent effectué sur les femmes consultant leur gynécologue sans symptôme (dans le cadre d’un suivi annuel pour un renouvellement de contraception, par exemple), alors même qu’une synthèse des données publiées réalisée par Prescrire4 n’a pas recensé d’étude montrant un bénéfice sur des critères cliniques pour des femmes sans risque particulier et sans symptôme gynécologique. Or, le toucher vaginal, on peut l’imaginer sans mal, n’est pas particulièrement bien vécu par les femmes. Par ailleurs, les touchers pelviens (sans consentement) réalisés au bloc opératoire sont bien réels (selon une enquête réalisée en 2015 par la conférence des doyens, le consentement préalable du patient n’est recueilli que dans 67% des cas pour les étudiants de DFGSM, et dans 80% pour les étudiants de DFASM)5, et ont été à l’origine de récents débats, d’une pétition12, et d’un engagement du gouvernement (enquête de l’Inspection Générales des Affaires Sociales pour approfondir celle de la conférence des doyens, et développement de l’apprentissage par simulation6 ; pas de nouvelles à ce jour).
- Le dépistage du cancer du col de l’utérus par Frottis Cervico-Vaginal, mot-clef préféré de l’époque des ECN rédactionnels est martelé dans les différents chapitres du collège de Gynécologie. Il convient de rappeler qu’il doit être PROPOSÉ tous les 3 ans entre 25 et 65 ans après 2 frottis normaux à un an d’intervalle chez les femmes sans antécédents particuliers7. La répétition d’examens inutiles, désagréables voire invasifs ne constitue-t-elle pas une forme de violence médicale ?
- L’épisiotomie est une pratique consistant à inciser le périnée d’une femme durant l’accouchement pour éviter des déchirures liées au passage de la tête du bébé à naître lors d’un accouchement « par voie basse ». L’objectif étant idéalement de provoquer volontairement une déchirure « maitrisée » du périnée afin d’éviter des déchirures aléatoires plus graves et espérer ainsi diminuer les incontinences urinaires ou fécales après l’accouchement. Pourtant, de nombreuses études8 ont démontré une absence de bénéfices de l’épisiotomie, qui semble continuer d’être pratiquée davantage par « tradition » que sur de réels fondements scientifiques. A noter que 44% des épisiotomies sont réalisées sur des primipares (femme accouchant pour la première fois)9. La France se situe globalement dans la moyenne en matière de taux d’épisiotomie en Europe (mais avec le taux de mortinatalité le plus élevé d’Europe selon l’INSERM), avec plus de 70% d’épisiotomies à Chypre et près de 5% en Danemark ou en Suède10. Pourtant, des disparités au sein même de France existent : au CHU de Besançon, le taux d’épisiotomies est inférieur à 1%, justifiant qu’il est absolument possible de le faire.
D’après le chef de service, le Professeur Didier Riethmüller : « L’épisiotomie, c’est le prototype d’un acte qu’on a fait de façon habituelle, en pensant qu’on rendait service aux femmes. Il faut changer tout ça, mais les habitudes et les croyances, c’est très difficile à changer. (…) Le principe absolument non négociable de la pratique médicale : tout d’abord ne pas nuire. Si ça ne sert à rien, il ne faut pas faire. »11
- Le point du mari14, est une pratique consistant à recoudre une épisiotomie en effectuant un point de suture supplémentaire pour resserrer le vagin naturellement dilaté après un accouchement, de sorte à ce que le mari retrouve, aux prochaines relations sexuelles, la sensation d’un vagin plus serré, au détriment des sensations douloureuses que cela entraîne chez la femme. Il s’agit de l’illustration choisie pour dénoncer un paternalisme médical sexiste et maltraitant, et a probablement contribué à une certaine méfiance des patient(e)s envers les médecins13.
- Le sexisme, s’il n’existe pas qu’en gynécologie puisque la profession médicale (dans son ensemble) a longtemps été exercée par des hommes dans un contexte qui, historiquement, permet d’expliquer un comportement machiste. On peut sans doute raisonnablement espérer que les mœurs ont désormais changé. Cependant, l’existence du site #PayeTaBlouse15 et les anecdotes sexistes vécues par les étudiantes en santé semble nous montrer qu’il reste de la place pour les progrès16.
Pour autant, nous semblons être dans un mouvement de transition, entre l’abandon d’un traditionalisme démodé et l’affirmation d’une génération de médecins soucieux du bien-être des femmes et de leurs patients en général, de l’éthique et des règles de l’art médical, en ce qu’il a de scientifique et d’humain (au travers de l’Evidence Based Medecine, en ayant conscience de ses limites).
Il convient donc de nous interroger sur l’importance de reconnaître l’existence des violences vécues par les patients : s’agit-il là d’une manière d’être attentif à leurs retours pour améliorer nos pratiques, dans la protection de l’intégrité de la relation soignant-soigné ? Quel « droit de réponse » et manière de répondre de la part des soignants (pour rectifier certaines informations ou apporter un point de vue de professionnel de santé par exemple) ? Quelle limite entre des retours constructifs, et un simple « docbashing » qui voudrait témoigner d’une méfiance généralisée dans les professionnels de santé ?
Qu’en pensez-vous ?
Partagez vous aussi vos avis, vos expériences en matière de violences médicales, de sexisme ou vos réflexions sur notre façon de communiquer avec le monde extérieur à la médecine. Comment informer, rectifier, accepter certaines critiques ? Qui a le droit de critiquer le corps médical ? Faut-il être nécessairement soignant pour donner son avis sur le soin ? Quel est votre sentiment sur les violences médicales ? Comment faudrait-il y répondre ? A vos claviers !
Références
- Articles Le Monde : (1) http://urlz.fr/5Ie7` ; (2) http://urlz.fr/5Ieb ; (16) http://urlz.fr/5Iec ; (13) http://urlz.fr/5Ief
- (11) Article France Bleue : http://urlz.fr/5Ieh
- (0) Audition de Mme Marlène Schiappa (vidéo) http://videos.senat.fr/video.379101_59704ef4e76fa.audition-de-mme-marlene-schiappa-secretaire-d-etat-chargee-de-l-egalite-entre-les-hommes-et-les-fem?timecode=3811000
- (2) Lettre ouverte à Mme Marlène Schiappa du CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) & (3) communiqué de presse de l’ordre des médecins http://www.cngof.fr/patientes/presse/474-communiques-du-cngof
- (9) Enquête nationale périnatale 2010 (INSERM) : http://www.xn--epop-inserm-ebb.fr/wp-content/uploads/2015/01/Rapport-Naisances-ENP2010.pdf
- (4) « Examen gynécologique pelvien. Pas de toucher vaginal systématique en l’absence de symptôme » Rev Prescrire 2017 ; 37 (405) : 528-529. : http://www.prescrire.org/fr/3/31/53140/0/NewsDetails.aspx
- (8) Compilation « épisiotomie » de l’Alliance Francophone pour l’accouchement respecté (AFAR) : http://afar.info/wp/docs/episio-compil1.pdf
- (10) Europeristat (statistiques comparatives autour de la natalité en Europe) : http://www.europeristat.com/images/EURO-PERISTAT_Communique-France-1.pdf
- (12) Pétition « Non aux touchers vaginaux non consentis ! » : http://urlz.fr/5Iel
- (15) Paye ta blouse : https://payetablouse.fr
- (6) Réaction du ministère de la santé sur l’affaire des touchers vaginaux sous anesthésie générale et (5) rapport de la conférence des doyen sur les pratiques des étudiants : http://solidarites-sante.gouv.fr/archives/archives-presse/archives-communiques-de-presse/article/touchers-vaginaux-et-rectaux-sans-consentement-marisol-touraine-recoit-le
- (7) Recommandation de la HAS sur le dépistage du cancer du col de l’utérus : https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2010-11/fiche_de_synthese_recommandations_depistage_cancer_du_col_de_luterus.pdf
(14) Interview d’Agnes Ledig (Sage-Femme) dénonçant la pratique du point du mari : http://www.allo-medecins.fr/actualite/sante-publique/28032014,interview-agnes-ledig-auteur-du-papier-a-propos-du-point-du-mari-explique-tout-a-allo-medecins,285.html