« La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort » écrivit Xavier Bichat, médecin anatomo-pathologiste français, et grande figure du vitalisme. S’opposant aux visions physico-mécaniques du vivant, il fait partie de ce mouvement qui suggère une spécificité irréductible de la vie, laquelle serait faussée par une approche (vaine) d’objectivité absolue : « La physique, la chimie, etc., se touchent, parce que les mêmes lois président à leurs phénomènes ; mais un immense intervalle les sépare de la science des corps organiques, parce qu’une énorme différence existe entre ces lois et celles de la vie. »1 . Pour poursuivre ses recherches sur la physiologie de la vie, Bichat aurait, presque paradoxalement, autopsié près de 600 cadavres.
La vie et la mort semblent être les deux faces d’une même pièce dans le monde du vivant (ou du « mourant » ?). La vie est souvent définie comme un état, propre aux êtres vivants, d’échange d’un organisme avec son environnement, sur différents plans (physico-chimique, éventuellement relationnel, etc.). La tautologie parait grotesque, mais il s’avère qu’un organisme vivant cesse de vivre lorsqu’il meurt. Et pourtant, la nature parvient toujours à nous surprendre. En effet, le tardigrade (Echiniscus trisetosus) est un petit animal de moins de 2 mm qui possède une capacité rare : la cryptobiose. Lorsque l’environnement est hostile à son développement, le tardigrade peut entrer dans un état de métabolisme réduit qu’aucun moyen de mesure ne peut, à ce jour, détecter, si bien que tout échange avec le milieu extérieur semble interrompu (aucune trace d’activité physico-chimique). Il devient ainsi totalement « inerte », résistant à des conditions extrêmes (-272,9°C pendant 20h, vide absolu, alcool pur, rayons X à dose mortelle…) : entre-il encore dans la catégorie des êtres vivants ? Au prochain contact avec un environnement plus favorable, il « revient à la vie » en moins de 2h.
En médecine, il n’existe logiquement pas de certificat de vie, au contraire des certificats de décès. Par-delà des aspects philosophiques de l’essence de la vie, certifier la mort implique donc nécessairement l’existence d’une définition de la mort. Or, les progrès incessants en médecine, technique et physiologie repoussent constamment les limites de l’existence : vie pauci-relationnelle, état « végétatifs », mort encéphalique… Si bien que la question même de la définition de la mort reste pleine et entière.
Pour y répondre, nous survolerons l’histoire de la définition médicale de la mort au fil des ans, évoquerons les multiples approches conceptuelles de la mort et proposerons quelques pistes de réflexions quant à son devenir.
Histoire médicale de la mort (en occident)
L’homme, depuis les plus anciennes traces construites, est religieux. Très tôt, il a pensé sa finitude et a créé des rituels pour que les défunts puissent continuer leur voyage. Or, à l’origine, les premières traces de médecine dans les sociétés humaines font essentiellement référence à des rites et croyances magiques, spirituelles et religieuses (exemple du Papyrus Ebers2. La maladie a des causes qui ne sont pas seulement physiologiques : être malade ou mourir, en un sens, est également un acte de volonté et/ou de châtiment divin. Dans les anciennes sépultures (du latin sepultura qui signifie « derniers devoirs »), on retrouve des corps en position fœtale, comme si la mort n’était qu’un recommencement.
En 580 avant J.C. se tient l’exode de Babylone, symbole du passage d’un polythéisme à un monothéisme. L’Eglise se constitue et s’octroie le monopole des funérailles. Les cimetières tels que nous les connaissons apparaissent au Xème siècle, et se caractérisent fréquemment par une fosse commune et quelques monuments pour les riches. Par ailleurs, c’est un lieu de vie où se tiennent des marchés, des jeux, des fêtes3… Le prêtre accompagne tous les moments de la vie, jusqu’à l’extrême onction, comme s’il donnait l’autorisation de mourir.
L’époque des Lumières a, une fois de plus, bouleversé les consciences. L’approche de la mort s’est éloignée de la sphère religieuse. A partir du XVIIIe siècle, guerres et épidémies justifient peut-être d’une crainte d’être cru mort et enterré vivant. Des critères cliniques affirment la mort : rigidité cadavérique, refroidissement, putréfaction4. S’il existe un permis d’inhumer (délivré par un officier d’état civil sans compétence médicales), il n’existe pas de critère légal de la mort.
Au XXe siècle, la mort est de plus en plus « médicalisée », d’autant que les progrès de la médecine permettent davantage de prolonger l’existence. Le constat de la mort se traduit par l’arrêt de la respiration et des pulsations cardiaques. Deux circulaires des 3 Février 1948 et 19 Septembre 1958 définissent l’arrêt de toute activité cardiaque comme critère de la mort.
Pourtant, les progrès en réanimations se poursuivent, et il devient possible, dans les années 1960, de maintenir artificiellement une fonction respiratoire ou circulatoire, même en cas d’arrêt cardiaque prolongé. Malgré des lésions cérébrales irréversibles et sévères, une personne peut ainsi être maintenue « en vie » selon les critères légaux de la mort. Et ceci dans le contexte du développement de la transplantation d’organes. Pierre Mollaret et Maurice Goulon (neurologues français) définissent le coma dépassé comme « l’abolition totale des fonctions de la vie de relation et des fonctions de la vie végétative », ce que 9 ans plus tard, la circulaire Jeanneney du 24 Avril 1968 introduira dans le droit français (désormais dans le code de santé publique) dans la notion de mort encéphalique. En 1996, un décret (n°96-1041) affirme le concept de mort cérébrale, comme la lésion irréversible de structures cérébrales nécessaires au maintien de la conscience et de l’autonomie neurovégétative, et permet alors sous de strictes conditions, le prélèvement d’organes sur un donneur dit mort « à cœur battant ».
Dans le monde, 3 courants co-existent en matière d’approche de la mort encéphalique5 :
- Aux USA ou en France, les lésions doivent concerner le cerveau et le tronc cérébral
- En Grande-Bretagne, les lésions peuvent ne concerner que le tronc cérébral (siège de la vie végétative)
- Depuis 1970, certains médecins estiment que les lésions peuvent ne concerner que le néocortex (conscience, interactions sociales), défendant ainsi le concept de mort néocorticale où l’individu est considéré mort si les lésions cérébrales l’empêchent de tout rapport conscient avec le monde extérieur.
Les définitions actuelles de la mort ?
Si la définition même de la mort évolue au cours du temps et des avancées scientifiques, en pratique, il semble que la mort regroupe plusieurs approches :
- La mort clinique : constatant les premiers signes (perte des réflexes crâniens, dilatation pupillaire, arrêt cardiaque persistant…)
- La mort encéphalique : traduisant un courant de pensée considérant l’homme comme existant essentiellement à travers son cerveau.
- La mort administrative ou juridique : répondant à un ensemble de critères précis (article R. 671-7-2).
- Abolition de la respiration spontanée vérifiée par une épreuve d’hypercapnie,
- Abolition de toute activité des nerfs crâniens,
- Perte totale de la conscience,
- 2 électroencéphalogrammes nuls et aréactifs pendant 30 min réalisés à l’intervalle minimal de 4h ; OU angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique,
- Elimination de certaines étiologiques confondantes (intoxication, hypothermie…),
- Délai d’observation où ces signes sont constants.
- La mort physiologique ou biologique : caractérisée par la cessation des échanges avec le milieu extérieur (froid, pâleur, putréfaction, rigidité cadavérique…)
- La mort fonctionnelle : car certaines fonctions comme la pousse des cheveux et des ongles persistent quelques temps après le décès6.
Mourir demain… ?
En 2018 s’annoncent la révision des lois de bioéthique. Entre les questions de greffe d’organe et du transhumanisme en passant, peut-être, par une nouvelle évolution de la législation sur la fin de vie, la question de la mort reste essentielle. Face à l’augmentation incessante des progrès médicaux et scientifiques qui repoussent constamment la frontière à partir de laquelle il n’est plus possible d’agir pour empêcher la mort, et à l’importance de cette dernière en matière, notamment, de pronostic pour la transplantation d’organes, définir la mort est un enjeu juridique aux répercussions médicales, sociétales et philosophiques majeures.
La mort n’est-elle plus l’affaire de considérations spirituelles ? En témoignent par exemple les nombreux récits d’expériences de mort imminente et leurs similitudes (La Vie après la vie, Dr. Raymond Moody, 1975). Ces observations ont également fait l’objet de plusieurs publications, dont celle du Dr. Pim van Lommel, cardiologue néerlandais, dans The Lancet en 2001 où, sur 344 patients réanimés après un arrêt cardiaque, 12% ont expérimenté une expérience de mort imminente incluant une expérience de sortie du corps7. Le Dr. Pim van Lommel a ainsi proposé une hypothèse de la survie (la conscience pourrait fonctionner totalement indépendamment du cerveau et donc survivre à la mort de celui-ci), hypothèse critiquée par plusieurs neuroscientifiques.
La mort peut-elle être définie ? En témoigne un fait divers8 récent d’un patient dit en « état végétatif » ayant fait l’objet d’une stimulation du nerf vague qui aurait, selon une publication dans Current Biology, montré des signes de réactivation de régions cérébrales impliquées dans l’état de conscience9.
La mort peut-elle être donnée ? Par le progrès médical et scientifique, les médecins se sont plus ou moins consciemment emparés de la mort. Les débats sociétaux sur l’euthanasie ou le suicide assisté questionnent la pertinence du rôle du médecin comme rempart et/ou prodigueur de la mort.
La mort devient-elle sociale ? Réseaux sociaux, réputation, collectivité… La place de l’être humain dans une société répond des plus hauts niveaux de la controversée pyramide des besoins de Maslow. Et si l’individu n’existait qu’au travers du regard et de la considération de ses semblables ? Si, pour Aristote, l’homme hors d’une société est une bête ou un dieu, l’indifférence des uns par rapport aux autres devient-elle de fait mortelle pour l’humanité de notre société ?
La mort est-elle encore inéluctable ? Face aux progrès techniques, scientifiques et médicaux, s’orient-on vers une société débarrassée de la mort ? Est-ce souhaitable ? Quels enjeux nouveaux seraient alors posés (surpopulation, droit de vie, qualité de vie…) ? Peut-on sauvegarder sa conscience dans un support robotique ? Les robots possesseurs d’une intelligence artificielle10 seront-ils considérés vivants ?
A vos claviers !
Références
- Bichat, Xavier. Recherches physiologiques sur la vie et la mort. Paris : s.n., 1800.
- Wikipédia. Papyrus Ebers. [En ligne] [Citation : 24 11 2017.] https://fr.wikipedia.org/wiki/Papyrus_Ebers.
- Lassère, Madeleine. Villes et cimetières en France de l’Ancien Régime à nos jours: le territoire des morts. s.l. : L’Harmattan, 1997.
- Vovelle, M. La mort et l’Occident : de 1300 à nos jours. Paris : Gallimard, 2000.
- Olivier Lesieur, Martyna Tomczyk, Maxime Leloup. Les nouvelles définitions de la mort. Poitou-Charentes : Espace Ethique Poitou-Charentes, 2014.
- Descamps, Marc-Alain. Les définitions de la mort.
- all, Pim van Lommel et. near-Death experience in survivors of cardiac arrest : a prospective study in the netherlands. s.l. : The Lancet, 2001.
- Une stimulation cérébrale aurait redonné un peu de conscience à un patient en état végétatif. Favereau, Eric. Paris : Libération, 2017.
- Restoring consciousness with vagus nerve stimulation. Martina Corazzol, Angela Sirigu et all. s.l. : Current Biology, 2017, Vol. 27.
- Un robot chinois réussit le concours d’entrée en médecine et conseillera bientôt les généralistes. Sermondadaz, Sarah. s.l. : Sciences et Avenir, 2017.