Depuis le 13ème siècle jusqu’à aujourd’hui l’université n’a cessé d’évoluer. Marquée par des dates clés de son histoire, elle a longtemps eu un rapport à la politique étroit : d’un outil de formatage des classes sociales supérieures jusqu’à devenir le lieu de l’expression démocratique et de l’émancipation, nous revenons aujourd’hui sur les moments qui ont marqué profondément son histoire.
Du Moyen-Age à Mai 68 : mise en place d’un outil d’Etat
Les premières universités naissent au 13ème siècle à Paris, Toulouse et Montpellier. Elles enseignent 4 thématiques au sein de grandes facultés :
- Théologie
- Droit canon
- Médecine
- Les arts
Elles auront surtout un rôle de partage de savoir et de connaissances. Par la suite c’est 19 universités supplémentaires qui verront le jour jusqu’à leur suppression à la révolution française.
Ce n’est que sous Napoléon que les universités sont recréées en tant que telles. Sous dépendance de l’Etat, elles ont alors comme mission de préparer les étudiants à leur professions futures et surtout de leur inculquer la morale d’Etat. L’université devient alors un outil de création des classes supérieures permettant au pouvoir de garder une certaine emprise sur celles-ci.
Le paysage de l’enseignement supérieur évoluera au cours de la Troisième République avec l’ouverture au privé. Cependant il est intéressant de noter que seuls les établissements publics peuvent arborer le nom d’”université” (règle qui aujourd’hui encore est inscrite dans le code de l’éducation).
Mais c’est également à cette époque que s’opère un changement idéologique autour des universités. Elles n’ont plus comme seul objectif de préparer des étudiants à une profession, mais doivent également participer au progrès scientifique afin de faire avancer l’industrie. C’est ainsi que les universités se rapprochent des académies et que la recherche commence à s’installer dans les universités.
Jusqu’en 1968, l’enseignement supérieur ne connaît pas d’autre évolution majeure. Elle poursuit ses missions à travers un système universitaire strict, organisé par des cours magistraux dispensés par de grands professeurs et avec l’objectif de préparer les étudiants à un métier ainsi que de faire avancer un certain nombre de champs universitaires.
Mai 68 : le bouleversement idéologique
Contexte :
Nous sommes en plein dans les Trente Glorieuses, période de mise en place de la société de consommation et des changements sociologiques que cela engendre. En effet, une confrontation générationnelle est en train de s’opérer entre, d’un côté les générations d’avant-guerre qui ont connu une éducation très stricte et de l’autre cette population de baby boom qui connaît une éducation plus laxiste et la recherche d’une émancipation plus forte, qui est étrangement soutenue par leurs aînés.
De plus du côté des universités le climat est assez mauvais. Le baby boom se fait ressentir, avec une augmentation majeure du nombre d’étudiants dans les universités. A savoir qu’en 1968 le titre d’université sert surtout de coquille, la gestion administrative et financière est à la charge des facultés alors dirigées par un doyen, 2 assesseurs et un secrétariat réduit. L’administration universitaire n’est alors pas du tout en capacité de gérer le flux massif arrivant, ainsi que des réformes majeures. En effet en 1966 une loi est promulguée pour organiser les formations universitaire en 3 cycles (comme actuellement) extrêmement rigides. Les étudiants n’ont plus la possibilité de choisir des enseignements qui les intéresse mais uniquement des maquettes complètes, non flexibles.
Pour le côté politique, le climat est également compliqué. La politique étrangère avec la guerre d’Algérie est désapprouvée par les jeunes. De plus, le général De Gaulle fait planer depuis quelques années le spectre de la sélection à l’entrée de l’université afin de réguler les nouveaux flux et l’idéologie communiste (Trotskiste et Maoïste pour les étudiants) encore très présente dans cette période d’après-guerre.
C’est donc dans ce climat plus que compliqué qu’éclate la révolte de Mai 68. Il n’est pas nécessaire de revenir sur les événements mais intéressons nous plutôt sur les conséquences du mouvement.
Changements pédagogique :
On voit arriver la mise en place d’un système qui prend le contre-pied des modalités pédagogiques historiques de l’université. En effet, on observe une diminution de la part des cours magistraux au profit des TP, TD et travaux de groupes.
C’est également un retour en arrière sur la loi de 1966 : l’organisation en trois cycles des formations universitaires est maintenue (et deviendra le système LMD), cependant le système gagne en souplesse. Seulement ⅔ du cycle est commun à tous les étudiants, le dernier tiers étant laissé au choix de l’étudiant, qui peut décider de suivre tel ou tel enseignement.
On voit également la fin des validations annuelles, remplacées par celle des cycles universitaires.
Les réformes engagées à la suite de Mai 68 serviront de base à l’organisation pédagogique de l’université que nous connaissons actuellement.
Bouleversement de la hiérarchie :
Baignant dans une idéologie à la fois communiste et d’émancipation, on voit très clairement une remise en cause complète de l’autorité des professeurs universitaires et doyens de faculté.
En effet, l’idée qui émerge est que l’étudiant n’a aucun devoir de rentabilité ou de production qui peut expliquer la relation patron-ouvrier qu’ils ressentent à cette époque. L’autorité universitaire ne peut naître que de l’adhésion ou non des étudiants vis-à-vis du corps enseignant. C’est ainsi la fin du rapport unilatéral étudiant-enseignant et la mise en place d’une relation contractuelle et de confiance réciproque entre les deux corps qui s’installe peu à peu.
Cette remise en cause de l’autorité du corps enseignants, soutenue par les assistants, sera la base de la nouvelle construction administrative des universités.
Nouvelle organisation administrative des universités :
C’est sous l’impulsion de Mai 68 que l’organisation administrative actuelle des universités verra le jour.
L’université devient un vrai regroupement, non plus de facultés mais, d’UER (unité d’enseignement et de recherche, futur UFR) avec un vrai poids décisionnel et une gestion financière propre.
Le point majeur est que les universités sont désormais dirigées par des conseils d’administration élus, dans lesquelles sont représentés les étudiants, qui élisent eux-mêmes leur président d’université.
Mai 68 impulsera une vraie révolution, aussi bien dans l’organisation de l’université, que dans son rôle. Elle devient un lieu de l’expression démocratique directe, d’échange, de réflexion, d’ouverture et de partage des connaissances. Bien loin de sa mission première de former des futurs professionnels, elle est l’outil de l’émancipation sociale réclamée par une génération entière.
Processus de Bologne : l’ouverture sur l’Europe et sur le monde
Le processus de Bologne est la réunion de 46 Etats du continent européen, dans le but de créer un espace européen de l’enseignement supérieur. L’objectif de celui-ci est de faciliter les mobilités étudiantes, notamment par la création d’équivalences de diplôme et la capitalisation des années à l’étranger dans son parcours.
C’est dans ce cadre qu’en 1999, pour sa première édition, est ratifiée la Déclaration de Bologne qui crée, entre autres, les points ECTS (European Credit Transfer Scale), ainsi qu’une stratégie afin de faciliter les mobilités étudiantes.
Depuis, tous les deux ans, l’ensemble des ministres de l’enseignement supérieur des pays signataires se réunissent. On verra notamment en 2005 inscrit dans le procès verbal du processus de Bergen, la nécessité de coordonner l’espace européen de l’enseignement supérieur avec le reste du monde.
La France a toujours été motrice dans ce processus, qui aujourd’hui inspire le monde entier. Des espaces de l’enseignement supérieur sont créés petit à petit, notamment en Afrique. Il est de plus en plus nécessaire de trouver des solutions pour réussir à coordonner l’ensemble de ces espaces et faciliter encore plus les mobilités mondiales des étudiants.
2019 : l’année du retour en arrière ?
C’est donc dans une université qui n’a cessé de se réinventer afin de s’ouvrir de plus en plus sur le monde, aux différentes classes sociales, aux courants de pensées, aux alternatives pédagogiques et qu’évoluent aujourd’hui pas moins de 2 738 800 étudiants.
Cependant, malgré le contexte d’ouverture de l’enseignement supérieur sur le monde, de libre circulation du savoir et des politiques d’attractivité des universités du monde entier, le Premier Ministre a annoncé la volonté du gouvernement français d’augmenter de 1 500 % les frais d’inscription pour les étudiants non-communautaires.
Une mesure incompréhensible au vue de l’importance et des enjeux que représente l’attractivité des universités sur la scène mondiale.
Une mesure qui va empêcher des milliers d’étudiants de poursuivre leur cursus en France.
Une mesure qui va à l’encontre des valeurs fondatrices de l’université moderne.
Une mesure décriée par l’ensemble des acteurs universitaires : étudiants, enseignants, doyens et présidents d’université.
Une mesure qui serait un vrai retour en arrière pour l’enseignement supérieur français.
C’est parce que l’université n’a cessé, depuis 8 siècles, d’abattre barrière après barrière pour devenir ce qu’elle doit être : un lieu d’ouverture, d’apprentissage, d’échange et d’émancipation, qu’il n’est aujourd’hui pas permis de revenir en arrière..
Vice-Président chargé de la PACES et de l’Enseignement Supérieur
es@anemf.org
Sources :