La liberté d’installation des médecins est souvent remise en cause mais cette année plus que les autres, il existe un risque que cette mesure soit votée. Loin d’être une solution pour l’accès au soin, la coercition serait inefficace et dangereuse ! On vous explique pourquoi !
La coercition c’est quoi ?
C’est supprimer la liberté d’installation des médecins sur le territoire !
Par différents moyens, on va, soit obliger les médecins à s’installer dans les zones sous-denses, soit les empêcher de s’installer dans des zones dites “sur-denses” en médecins !
Différentes mesures sont possibles :
- Obliger les jeunes diplômés à s’installer 3 ans voire 5 ans dans une zone sous dense.
- Réaliser un conventionnement sélectif selon les zones : les médecins ne pourront se conventionner avec l’assurance maladie, c’est à dire permettre à leurs patients d’être remboursés du prix de la consultation, que s’ils remplacent un médecin parti à la retraite au sein d’une zone dite “sur-dense” ou s’ils s’installent en zone-sous dense.
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Chaque année, à l’Assemblée Nationale, la liberté d’installation est remise en question par certains députés. Cependant, ils n’ont jamais obtenu une majorité pour pouvoir la supprimer !
Cette année, au mois de mars, sera votée à l’Assemblée Nationale la loi du projet Ma Santé 2022 du gouvernement. Celui-ci ne prévoit pas de coercition mais lors de son vote, il y a le risque que les députés ajoutent, par amendement, des mesures limitant la liberté d’installation des médecins !
Pourquoi vouloir supprimer la liberté d’installation ?
Il existe aujourd’hui de réelles difficultées d’accès aux soins qui, ajoutées au contexte de tensions sociales actuelles rendent cette option attirante aux yeux des députés, qui cherchent à tout prix à retrouver la confiance du grand public.
Cependant, la coercition, même si elle paraît séduisante, est en fait inefficace et dangereuse !
Ce qui est vrai
A l’heure actuelle on observe des réelles difficultés d’accès aux soins pour certains territoires et certaines disciplines (médecine générale, ophtalmologie, gynécologie…).
La France comptait, au 1er janvier 2017, 88 137 médecins généralistes « en activité régulière » contre 97 012 en 2007, soit une baisse de près de dix mille généralistes en activité en moins de dix ans. Selon les projections du Conseil de l’Ordre, cette baisse devrait s’accentuer dans les 10 prochaines années avec, sur la période 2007-2025, le départ à la retraite d’un médecin généraliste sur quatre.
Cette évolution à la baisse de la démographie médicale pour la médecine générale est due au manque d’anticipation des politiques de santé durant les 30 dernières années.
En effet, le Numerus Clausus avait été baissé jusqu’à 3850 fin des années 90 ! Ainsi, la baisse du numerus clausus entre les années 80 et 2000, combinée aux nombreux départs à la retraite fait que nous manquons de médecins.
Le NC a depuis été augmenté pour répondre à la hausse de la demande de l’offre de soin (passant de 3850 à 8124 entre 2000 et 2017) et permettra de combler le vide dans quelques années.

Rapport de l’ONDPS “La régulation démographique des professionnels de santé par les flux d’étudiants”
Ce qui est faux :
Ce qui est faux, c’est de dire que supprimer la liberté d’installation est la bonne solution pour améliorer l’accès aux soin ! C’est inefficace et dangereux !
Voici quelques arguments que nous compléterons dans de prochaines publications.
Inefficace !
C’est inefficace car il y a un manque global de médecin !
Il n’existe donc pas, à l’heure actuelle, de zone “sur dense” en médecins, contrairement à ce que l’on entend souvent pour Paris ou le Sud par exemple ! 76% de la population d’Ile de France est dans un territoire en tension.
De plus, 98 % de la population accède à un médecin généraliste en moins de 10 minutes ; seul 0,1 % de la population (57 000 personnes environ) doit faire 20 minutes ou plus pour accéder à un généraliste.

Cette carte permet de mettre en perspective le nombre de médecins généralistes et la population aux alentours. Une fois rapportée à la population, la densité des médecins (orange) est bien mieux répartie ! Les zones “blanches” disparaissent entre les grands centres urbains, ainsi on s’aperçoit qu’il y a finalement peu de disparité !
Ainsi, vouloir re-répartir les médecins revient à déplacer les zones de tension !
Dangereux
Cette mesure est dangereuse car elle risque de déséquilibrer fortement notre système de santé !
La médecine libérale se trouverait dévalorisée par une telle mesure, notamment la médecine générale alors qu’aujourd’hui elle souffre déjà d’un manque d’attractivité au choix de poste de l’internat ! C’est risquer de dévaluer la médecine libérale au profit du salariat et de l’exercice hospitalier. Rappelons que de nombreux Centres Hospitaliers cherchent à recruter des médecins actuellement. En somme, c’est risquer d’accroître le manque global de médecins libéraux.
Le conventionnement sélectif, c’est aussi encourager le déconventionnement d’une partie de la population médicale, menant à une médecine à deux vitesses !
En effet, si les médecins ne peuvent plus s’installer en étant conventionnés avec l’Assurance Maladie dans les zones qui les intéressent, certains s’y installeront sans conventionnement. S’il n’y a aujourd’hui qu’à peine un millier de médecins non conventionnés, ces chiffres pourraient alors exploser. Hors conventionnement, le médecin n’étant plus accompagné pour payer ses charges par l’Assurance Maladie, il lui est nécessaire d’augmenter ses prix.
De plus, le taux de remboursement par l’Assurance maladie pour la consultation s’effondre. Le patient devra alors payer sa consultation 50€, n’étant remboursée que de quelques euros.
Il y aura donc deux types de médecins, les conventionnés et les non conventionnés, et deux types de médecines, celle accessible et celle non remboursée, qui développera des services de luxe pour toucher une population plus aisée.
C’est donc un danger énorme de voir s’installer une médecine à deux vitesses.
Préserver la liberté d’installation ET s’engager pour l’accès aux soins !
Si l’on s’oppose à la coercition, on s’engage pour un meilleur accès aux soins car en tant que soignants, nous y sommes confrontés tous les jours en stage !
Améliorer l’accès aux soins passe par la formation pour découvrir tous les territoires et modes de pratiques, par un accompagnement à l’installation pour faciliter les projets médicaux et par une restructuration en profondeur de notre système de santé pour rendre du temps médical aux médecins, augmenter la coopération entre tous les professionnels, créer de nouveaux métiers, utiliser les outils technologiques…
Le plan Ma Santé 2022 du gouvernement tente d’apporter quelques réponses mais qui devront être mises en oeuvre très rapidement.
Ainsi, de nombreuses solutions existent et l’ANEMF les porte depuis de nombreuses années. Vous pouvez les retrouver dans notre dossier de presse sur l’Accès aux soins !
Alors… On a besoin de vous !
L’ANEMF défend la liberté d’installation depuis sa création et aujourd’hui, nous avons besoin de vous ! Parlez-en autour de vous, échangez entre vous, participez aux débats et aux AG sur la coercition dans vos facultés et mobilisez-vous pour la liberté d’installation !
L’accès aux soins est une problématique qui ne sera pas réglée par une solution “miracle” que serait la coercition mais bien par une politique globale et plurielle transformant le système de santé en profondeur.
Engageons-nous contre la coercition et pour améliorer l’accès aux soins !