La liberté d’installation est une valeur fondamentale de la médecine de ville inscrite dans la charte de la médecine libérale de 1927. C’est aussi une valeur inscrite dans les statuts de l’ANEMF dès sa création ! Depuis quelques années, elle est attaquée, notamment par les parlementaires dont certains tentent de la supprimer mais ils ont jusqu’ici toujours échoué. Cependant, tentatives de suppression se sont intensifiées ces derniers temps.
La dernière date de Janvier 2019, alors portée par le député socialiste de la Mayenne, Guillaume Garot, mais ce n’est pas le seul député réfractaire à la liberté d’installation des médecins. Ainsi, nous pouvons constater un effacement du clivage Gauche/Droite sur cette question ces dernières années.
La santé au coeur de tous les débats :
Proposition de loi porté par M. le Député Garot au mois de Janvier.

Nous nous étions opposés lors des auditions à l’assemblée nationale : CdP ANEMF.
Le contexte actuel de tension sociale a amené le gouvernement à organiser un “Grand Débat National”, autour de 4 grandes thématiques dont la santé était absente. En réalité, c’est un sujet qui revient constamment au sein des cahiers de doléances et autres contributions issues du “Grand Débat National”, avec comme remarque majeur : les problèmes d’accès à un médecin.
“La France n’a jamais compté autant de médecins en activité (226 000 au 1er janvier 2018)”, pourtant il existe de réelles difficultés d’accès à un médecin, et “en termes de démographie médicale, la période la plus critique est attendue entre 2021 et 2025” soulève Le Monde, dans un article datant du 27 Février dernier.
Comment en est-on arrivés à de telles difficultés ?
Le nombre de médecins inscrits à l’Ordre, donc exerçant sur le territoire, est historiquement le plus élevé. Cependant, cela est dû à la progression du nombre de praticiens partis à la retraite, continuant d’avoir une activité médicale de +43,6% depuis 2010 (Atlas CNOM 2018 (3)). En effet, le nombre de médecins en activité “régulière”, lui, a baissé de 0,9% sur la même période.
Un Numerus Clausus malmené
Les politiques de santé, menées des années 80 jusqu’au milieu des années 90, ont abaissé le nombre de médecins à former par année, dans le but de mieux maîtriser et diminuer les dépenses de santé. Ainsi, le Numerus Clausus a diminué jusqu’à atteindre 3850 (4) à la fin des années 90 (contre 8000 dans les années 70), sans pour autant avoir un effet significatif sur les dépenses.
Cette chute démographique s’est faite trop brusquement pendant une trop longue période sans anticipation de l’évolution des besoins de santé, ni de l’évolution de la population française, déséquilibrant à long terme la démographie médicale..

Source : Rapport ONDPS, 2013-2014, ONDPS (4)
Si depuis, le NC a été ré-augmenté (passant de 3850 à 8124 entre 2000 et 2017), nous sommes actuellement dans le “creux de la vague” : les médecins en exercice sont ceux correspondant à la période avec un NC très faible (ils ont entre 35 et 70 ans environ) !
De nombreux départs à la retraite
Les médecins formés à l’époque de la “pléthore médicale” (années 70), où le Numerus Clausus était encore élevé, partent maintenant à la retraite. Malheureusement, la réhausse du nombre de médecins formés ne permet pas, à l’heure actuelle, de compenser les départs à la retraite massifs de cette génération de médecins… Selon les prévisions de la DREES (1), la balance devrait s’inverser dès 2025. En attendant, nous manquons de médecins en France alors que les besoins de santé sont plus grands.
Une population dont les besoins de santé augmentent
La population française a augmenté passant de 33,1(5) millions en 1901, à plus de 66 millions à l’heure actuelle. De plus ces dernières années, la pyramide des âges a également évolué en faveur des plus de 65 ans qui ont progressé de 3,7(5) points en 20 ans. En cause, l’allongement de la durée de vie qui est passé de 69 ans en moyenne en 1960 à 82 ans en 2016.
Ce vieillissement de la population participe au développement des maladies chroniques. En 2016, 10,4 millions (chiffre CNAM) de personnes affiliées au régime général de l’Assurance Maladie ont bénéficié du dispositif des “affections de longue durée” (ALD, et les dépenses liées à ce dispositif ont progressé de 8,5%(8) par an depuis 2002.
L’augmentation et le vieillissement de la population entraînent inévitablement une hausse des besoins de santé.
En conséquence, la part du financement consacré à la santé augmente. Selon la DRESS, la part de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) dans la richesse nationale a été multipliée par 3,5(6), passant de 2,5 % du PIB en 1950 à 8,9 % en 2015 (Graphique ci-dessous).

La part de l’assurance maladie augmente globalement sur l’ensemble des postes entre 1950 et 2015 malgré la mise en place de politiques de maîtrise des dépenses en santé depuis les années 80.
Et ce n’est pas fini, les prévisions démographiques estiment qu’en 2060, 1 personne sur 3 sera âgée de plus de 60(5) ans. Ainsi au vu des besoins croissants, le nombre de médecins est actuellement insuffisant créant des difficultés d’accès aux soins.
Une répartition vraiment inégale ?
Il est fréquemment avancé que la répartition des médecins en France est très inégale, créant de fait des régions «sur et sous-denses» en population médicale.
Tout d’abord, il est important de raisonner à une échelle adaptée. En effet, les densités médicales, données par région, cachent très souvent des disparités à l’intérieur même des territoires, notamment ceux considérés comme les plus dotés en médecin.
Conséquence directe du manque global de médecins, il n’existe pas à l’heure actuelle de “zone sur-dense” à proprement dit.
De même, le cliché typique du “désert médical” étant une zone rurale est erroné, car actuellement, tous les types de territoire peuvent être dits “zones de tension”, des zones rurales ou grandes villes, en passant par la périphérie urbaine. Ainsi, selon le dernier zonage réalisé par le ministère de la santé sorti début janvier 2018, 76% de l’île de France est considérée comme zone en tension.

Cette carte permet de mettre en perspective le nombre de médecins généralistes et la population aux alentours. Une fois rapportée à la population, la densité des médecins (orange) est bien mieux répartie ! Les zones “blanches” disparaissent entre les grands centres urbains, ainsi on s’aperçoit qu’il y a finalement peu de disparités !
La mauvaise répartition des médecins est donc à relativiser ! Selon la DREES, 98% (2) de la population française vit à moins de 10 minutes en voiture d’un médecin généraliste, contre 0,1 % (2) devant faire plus de 20 minutes.
Un vrai problème d’accès aux soins, une fausse solution : la coercition
Nous l’avons montré au fil de cet article, il existe un véritable manque de médecin global en France et qui se fait ressentir par la population. Dans un contexte de tension sociale, les populations mettent de plus en plus de pression sur les élus locaux, et les députés notamment à propos de ces difficultés de notre système de santé. Ainsi, certains parlementaires envisagent de contraindre à l’installation des médecins afin de régler le problème d’accessibilité médicale. Pourtant, la coercition à l’installation serait dangereuse et inefficace… Nous détaillerons cela dans un prochain article.
L’ANEMF a construit et propose de nombreuses solutions pour améliorer l’accès au soins qu’elle porte depuis de nombreuses années. Vous pouvez les retrouver dans notre dossier de presse sur l’Accès aux Soins !
Glossaire :
- DREES : Direction de la Recherche, des Etudes, de l’evaluation et des Statistiques (Dépend du ministère de la Santé et des Solidarités).
Référence :
- 1) Direction de la Recherche, des Etudes, de l’evaluation et des Statistiques (DREES), Les médecins d’ici à 2040 : une population plus jeune, plus féminisée et plus souvent salariée, Mai 2017.
- 2) DREES, Déserts médicaux : comment les définir ? Comment les mesurer ?, Mai 2017.
- 3) Conseil Nationale de l’Ordre des Médecins (CNOM), ATLAS, 2018 :
- 4) Observatoire Nationale de Démographie des Professions de Santé (ONDPS), Rapport, 2013-2014 :
- 5) Institut National de la Statistique et des Etudes Economique (INSEE), Tableau de l’Economie Française, Population en âge, 2016.
- 6) DREES, Les dépenses de santé depuis 1950, Juillet 2017.
- 7) DREES et Santé Publique France, État de Santé de la population en France, rapport 2017.
8) DREES, Le vieillissement de la population entraîne une hausse des dépenses de santé liées aux affections de longue durée, Septembre 2018.